Lediscours de Victor Hugo dĂ©bute par une formule qui trahit lâart du contraste et de lâantithĂšse dont tĂ©moigne toute son esthĂ©tique : « Je commence par dire ce que je voudrais, je dirai tout Ă lâheure ce que je ne veux pas [5] . » Sâensuit la formulation dâun principe qui traduit son progressisme et quâil applique ensuite auToute sa vie, Victor Hugo s'est fait dĂ©fenseur de l'inviolabilitĂ© qui ne peut subir d'atteinte de la la vie humaine Ă travers ses Ă©crits, ses combats politiques ainsi que sa production peine de mort a Ă©tĂ© trĂšs souvent traitĂ©e par Victor Hugo, en Ă©cho Ă des scĂšnes dont il avait lui mĂȘme pu ĂȘtre romans se les portes voix de cet et 1832publiĂ© en 1829 chez Gosselin** Charle Gosselin fut l'Ă©diteur certains livres d'Hugo et de BalzacLe premier et le plus long et constant de tous les combats de Victor Hugo est sans doute celui quâil mĂšne contre la peine de mort. DĂšs son enfance, il est impressionnĂ© par la vision dâun condamnĂ© conduit Ă la guillotine, sur une place, puis, Ă lâadolescence, par les prĂ©paratifs des bourreaux en place de GrĂšve. Ce qu'il dĂ©finit par le "meurtre judiciaire", va le tenter toute sa vie dâinflĂ©chir lâopinion en dĂ©crivant lâhorreur de lâexĂ©cution, sa barbarie, en dĂ©montrant lâinjustice, en disant que les vrais coupables sont la misĂšre et lâignorance ainsi que de dĂ©montrer lâinefficacitĂ© du chĂątiment. Utilisant sa notoriĂ©tĂ© dâĂ©crivain puis son statut dâhomme politique, il met son Ă©loquence au service de cette cause, Ă travers ses romans, ses poĂšmes, et ses tĂ©moignages devant les tribunaux, plaidoiries et autres discours et votes Ă la Chambre des pairs, puis Ă lâAssemblĂ©e et enfin au SĂ©nat. Apparaissent Ă©galement de nombreux articles dans la presse europĂ©enne et des lettres dâintervention en faveur de condamnĂ©s sont transmisses dans les pas que Victor Hugo est un grand auteur romantique et que les thĂšmes et principes du romantisme sont la libertĂ©, l'expression mĂ©lancolique des sentiments, la recherche de la proximitĂ© locale et de l'histoire concrĂšte et donc, dans ses Ćuvres et particuliĂšrement dans le Dernier jour d'un condamnĂ©, tous ces Ă©lĂ©ments apparaissent en harmonie avec ses idĂ©es personnelles et ses arguments concernant son combat contre la peine de mort qu'il transmet ainsi. Le dernier jour d'un condamnĂ© est donc un roman trĂšs reprĂ©sentatif du combat global de Victor Hugo car c'est une Ćuvre littĂ©raire romantique donc libre et convaincante Ă son Ă©poque et Ă©galement un roman politique dans la mesure ou Hugo argumente contre la peine de mort. Ce discours politique ressemble d'ailleurs clairement Ă ces positions contre la peine capitale avec de nombreuses interventions publiques pour obtenir la grĂące de certains Brown, William Tapner, Armand BarbĂšs sont quelques-uns des condamnĂ©s qu'il a dĂ©fendu et pour lesquels il a plaidĂ© contre la peine capitale Ă laquelle ils Ă©taient pourtant condamnĂ©s. L'exemple de BarbĂšs est intĂ©ressant il Ă©tait opposĂ© Ă la monarchie de Juillet. En 1834 il participe aux soulĂšvements RĂ©publicains français et il est emprisonnĂ© au mois d'Avril de cette mĂȘme annĂ©e. Il s'allie Ă d'autres rĂ©volutionnaires, des socialistes notamment et fondent ensembles une organisation, ils mettent en place une rĂ©volte contre le pouvoir en place en 1839 et c'est lĂ que BarbĂšs est condamnĂ© Ă mort. C'est grĂące Ă Victor Hugo notamment, ainsi qu'avec l'aide d'autres personnes que BarbĂšs passe de condamnĂ© Ă mort » Ă condamnĂ© Ă la prison Ă vie » rapidement. AprĂšs la RĂ©volution de 1848, il retrouve finalement sa libertĂ© et reprend ses activitĂ©s politiques. Anecdotiquement, il termine sa vie en exil volontaire. Cet exemple montre Ă quel point Hugo Ă©tait trĂšs attachĂ© aux valeurs, de la libertĂ© et Ă la vie tout simplement, et comment il parvenait Ă convaincre le pouvoir de revoir son jugement de Hugo dans le contexte politique, Ă©conomique, social et culturel du 19Ăšme siĂšcle est un combat qui va de pair avec la lutte contre lâignorance et la misĂšre humaine contre lesquelles il lutte Ă©galement. Par leur force sentimentale et leur puissance de conviction, les Ćuvres dâHugo Ă©voquant la peine de mort nous donnent lâoccasion de rĂ©flĂ©chir Ă lâĂ©cho de son combat, dans dâautres pays dâEurope et mĂȘme jusqu'aux Ătats-Unis et de nos jours encore. Comme quoi Hugo aura bien marquĂ© l'Histoire par ses discours, ses rĂ©flexions, et son combat contre la peine de mort est l'un des plus convaincant et intĂ©ressant Ă Ă©tudier. VictorHugo qui GLISSE :ouch: RĂ©pondre. Nouveau sujet Liste des sujets. Actualiser. 1. SanctuRisitum. MP. 25 aoĂ»t 2022 Ă 20:37:37. Ce khey qui se croit drĂŽle avec son humour glissant.
Maintenant que Paris, ses pavĂ©s et ses marbres, Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux ; Maintenant que je suis sous les branches des arbres, Et que je puis songer Ă la beautĂ© des cieux ; Maintenant que du deuil qui mâa fait lâĂąme obscure Je sors, pĂąle et vainqueur, Et que je sens la paix de la grande nature Qui mâentre dans le coeur ; Maintenant que je puis, assis au bord des ondes, Ămu par ce superbe et tranquille horizon, Examiner en moi les vĂ©ritĂ©s profondes Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon ; Maintenant, ĂŽ mon Dieu ! que jâai ce calme sombre De pouvoir dĂ©sormais Voir de mes yeux la pierre oĂč je sais que dans lâombre Elle dort pour jamais ; Maintenant quâattendri par ces divins spectacles, Plaines, forĂȘts, rochers, vallons, fleuve argentĂ©, Voyant ma petitesse et voyant vos miracles, Je reprends ma raison devant lâimmensitĂ© ; Je viens Ă vous, Seigneur, pĂšre auquel il faut croire ; Je vous porte, apaisĂ©, Les morceaux de ce coeur tout plein de votre gloire Que vous avez brisĂ© ; Je viens Ă vous, Seigneur ! confessant que vous ĂȘtes Bon, clĂ©ment, indulgent et doux, ĂŽ Dieu vivant ! Je conviens que vous seul savez ce que vous faites, Et que lâhomme nâest rien quâun jonc qui tremble au vent ; Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme Ouvre le firmament ; Et que ce quâici-bas nous prenons pour le terme Est le commencement ; Je conviens Ă genoux que vous seul, pĂšre auguste, PossĂ©dez lâinfini, le rĂ©el, lâabsolu ; Je conviens quâil est bon, je conviens quâil est juste Que mon coeur ait saignĂ©, puisque Dieu lâa voulu ! Je ne rĂ©siste plus Ă tout ce qui mâarrive Par votre volontĂ©. LâĂąme de deuils en deuils, lâhomme de rive en rive, Roule Ă lâĂ©ternitĂ©. Nous ne voyons jamais quâun seul cĂŽtĂ© des choses ; Lâautre plonge en la nuit dâun mystĂšre effrayant. Lâhomme subit le joug sans connaĂźtre les causes. Tout ce quâil voit est court, inutile et fuyant. Vous faites revenir toujours la solitude Autour de tous ses pas. Vous nâavez pas voulu quâil eĂ»t la certitude Ni la joie ici-bas ! DĂšs quâil possĂšde un bien, le sort le lui retire. Rien ne lui fut donnĂ©, dans ses rapides jours, Pour quâil sâen puisse faire une demeure, et dire Câest ici ma maison, mon champ et mes amours ! Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient ; Il vieillit sans soutiens. Puisque ces choses sont, câest quâil faut quâelles soient ; Jâen conviens, jâen conviens ! Le monde est sombre, ĂŽ Dieu ! lâimmuable harmonie Se compose des pleurs aussi bien que des chants ; Lâhomme nâest quâun atome en cette ombre infinie, Nuit oĂč montent les bons, oĂč tombent les mĂ©chants. Je sais que vous avez bien autre chose Ă faire Que de nous plaindre tous, Et quâun enfant qui meurt, dĂ©sespoir de sa mĂšre, Ne vous fait rien, Ă vous ! Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue ; Que lâoiseau perd sa plume et la fleur son parfum ; Que la crĂ©ation est une grande roue Qui ne peut se mouvoir sans Ă©craser quelquâun ; Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent, Passent sous le ciel bleu ; Il faut que lâherbe pousse et que les enfants meurent ; Je le sais, ĂŽ mon Dieu ! Dans vos cieux, au delĂ de la sphĂšre des nues, Au fond de cet azur immobile et dormant, Peut-ĂȘtre faites-vous des choses inconnues OĂč la douleur de lâhomme entre comme Ă©lĂ©ment. Peut-ĂȘtre est-il utile Ă vos desseins sans nombre Que des ĂȘtres charmants Sâen aillent, emportĂ©s par le tourbillon sombre Des noirs Ă©vĂ©nements. Nos destins tĂ©nĂ©breux vont sous des lois immenses Que rien ne dĂ©concerte et que rien nâattendrit. Vous ne pouvez avoir de subites clĂ©mences Qui dĂ©rangent le monde, ĂŽ Dieu, tranquille esprit ! Je vous supplie, ĂŽ Dieu ! de regarder mon Ăąme, Et de considĂ©rer Quâhumble comme un enfant et doux comme une femme Je viens vous adorer ! ConsidĂ©rez encor que jâavais, dĂšs lâaurore, TravaillĂ©, combattu, pensĂ©, marchĂ©, luttĂ©, Expliquant la nature Ă lâhomme qui lâignore, Ăclairant toute chose avec votre clartĂ© ; Que jâavais, affrontant la haine et la colĂšre, Fait ma tĂąche ici-bas, Que je ne pouvais pas mâattendre Ă ce salaire, Que je ne pouvais pas PrĂ©voir que, vous aussi, sur ma tĂȘte qui ploie, Vous appesantiriez votre bras triomphant, Et que, vous qui voyiez comme jâai peu de joie, Vous me reprendriez si vite mon enfant ! Quâune Ăąme ainsi frappĂ©e Ă se plaindre est sujette, Que jâai pu blasphĂ©mer, Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette Une pierre Ă la mer ! ConsidĂ©rez quâon doute, ĂŽ mon Dieu ! quand on souffre, Que lâoeil qui pleure trop finit par sâaveugler. Quâun ĂȘtre que son deuil plonge au plus noir du gouffre, Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler. Et quâil ne se peut pas que lâhomme, lorsquâil sombre Dans les afflictions, Ait prĂ©sente Ă lâesprit la sĂ©rĂ©nitĂ© sombre Des constellations ! Aujourdâhui, moi qui fus faible comme une mĂšre, Je me courbe Ă vos pieds devant vos cieux ouverts. Je me sens Ă©clairĂ© dans ma douleur amĂšre Par un meilleur regard jetĂ© sur lâunivers. Seigneur, je reconnais que lâhomme est en dĂ©lire, Sâil ose murmurer ; Je cesse dâaccuser, je cesse de maudire, Mais laissez-moi pleurer ! HĂ©las ! laissez les pleurs couler de ma paupiĂšre, Puisque vous avez fait les hommes pour cela ! Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre Et dire Ă mon enfant Sens-tu que je suis lĂ ? Laissez-moi lui parler, inclinĂ© sur ses restes, Le soir, quand tout se tait, Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux cĂ©lestes, Cet ange mâĂ©coutait ! HĂ©las ! vers le passĂ© tournant un oeil dâenvie, Sans que rien ici-bas puisse mâen consoler, Je regarde toujours ce moment de ma vie OĂč je lâai vue ouvrir son aile et sâenvoler ! Je verrai cet instant jusquâĂ ce que je meure, Lâinstant, pleurs superflus ! OĂč je criai Lâenfant que jâavais tout Ă lâheure, Quoi donc ! je ne lâai plus ! Ne vous irritez pas que je sois de la sorte, O mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saignĂ© ! Lâangoisse dans mon Ăąme est toujours la plus forte, Et mon coeur est soumis, mais nâest pas rĂ©signĂ©. Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil rĂ©clame, Mortels sujets aux pleurs, Il nous est malaisĂ© de retirer notre Ăąme De ces grandes douleurs. Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nĂ©cessaires, Seigneur ; quand on a vu dans sa vie, un matin, Au milieu des ennuis, des peines, des misĂšres, Et de lâombre que fait sur nous notre destin, ApparaĂźtre un enfant, tĂȘte chĂšre et sacrĂ©e, Petit ĂȘtre joyeux, Si beau, quâon a cru voir sâouvrir Ă son entrĂ©e Une porte des cieux ; Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-mĂȘme CroĂźtre la grĂące aimable et la douce raison, Lorsquâon a reconnu que cet enfant quâon aime Fait le jour dans notre Ăąme et dans notre maison, Que câest la seule joie ici-bas qui persiste De tout ce quâon rĂȘva, ConsidĂ©rez que câest une chose bien triste De le voir qui sâen va ! Villequier, 4 septembre 1847.
PubliĂ© le 31/05/2018 Ă 1821 Le 1er juin 1885, une foule de prĂšs de deux millions de personnes se masse dans les rues pour assister au passage du cortĂšge. Wikimedia commons - CC FIGAROVOX/TRIBUNE - Dans Catholique dĂ©butant», Julien Leclercq raconte sa conversion en partie liĂ©e Ă sa passion pour Victor Hugo. Ă l'occasion des 133 ans de ses funĂ©railles nationales, il revient sur cet Ă©vĂšnement unique de notre histoire littĂ©raire et politique. Julien Leclercq est directeur de la rĂ©daction de la revue numĂ©rique Le Nouveau CĂ©nacle. Il raconte sa conversion tardive dans son dernier livre, Catholique dĂ©butantĂ©d. Tallandier, fĂ©vrier 2018.Un temps oĂč la France rendait hommage Ă ses gĂ©nies. Un temps oĂč la France savait dĂ©passer ses fractures pour s'unir dans la liesse populaire, pour un Ă©vĂšnement bien plus considĂ©rable qu'un match de football. Un temps oĂč la RĂ©publique portait aux nues ses Ă©crivains et ne s'entourait pas d'humoristes pour le moins suspects ni de vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©. C'Ă©tait il y a plus d'un siĂšcle. Une Victor Hugo rendit son dernier souffle le 22 mai 1885, le peuple parisien, informĂ© de la congestion pulmonaire qui venait de frapper le poĂšte, se pressait sous sa fenĂȘtre depuis de longues heures. Sur son lit de mort, Hugo aurait eu le temps de prononcer son dernier oxymore Je vois une lumiĂšre noire». Constatant la tristesse populaire et voyant ces innombrables drapeaux flotter aux fenĂȘtres de Paris en hommage au grand-pĂšre de la RĂ©publique», la Chambre des dĂ©putĂ©s dĂ©cide d'organiser des funĂ©railles nationales Ă celui qui avait exigĂ© ceci Ă son ami Auguste Vaquerie Je donne cinquante mille francs aux pauvres. Je dĂ©sire ĂȘtre portĂ© au cimetiĂšre dans leur corbillard. Je refuse l'oraison de toutes les Eglises. Je demande une priĂšre Ă toutes les Ăąmes». Le cercueil sera exposĂ© toute une nuit sous l'Arc de triomphe voilĂ© de noir pour l'occasion. Se remĂ©morant les obsĂšques de Hugo, LĂ©on Daudet note non sans perfidie dans ses Souvenirs littĂ©raires L'exploitation politique des cadavres est une tradition rĂ©publicaine».Le cercueil de Victor Hugo sous l'Arc de Triomphe. Wikimedia Commons - CCAutre grande figure de la droite, Maurice BarrĂšs fut un tĂ©moin prĂ©cieux de ses funĂ©railles. Dans Les DĂ©racinĂ©s, il note Qu'un tel phĂ©nomĂšne d'union dans l'enthousiasme, puissant comme les plus grandes scĂšnes de la nature, ait Ă©tĂ© dĂ©terminĂ© pour remercier un poĂšte-prophĂšte, un vieil homme qui, par ses utopies, exaltait les cĆurs, voilĂ qui doit susciter les plus ardentes espĂ©rances des amis de la France.». Vingt-et-une salves de canon furent tirĂ©es depuis les Invalides et un cortĂšge de plus de deux millions de personnes suivit le corbillard de Victor Hugo jusqu'au PanthĂ©on. La presse de l'Ă©poque rapporte une immense peine qui traverse la foule. Certains journalistes relatent mĂȘme des scĂšnes d'orgies dans les rues de ParisâŠLe requiem de la gauche?BarrĂšs, toujours dans Les DĂ©racinĂ©s, dĂ©crit cette ferveur DerriĂšre l'humble corbillard, marchaient des jardins de fleurs et les pouvoirs cabotinants de la Nation, et puis la Nation elle-mĂȘme, orgueilleuse et naĂŻve, touchante et ridicule, mais si sĂ»re de servir l'idĂ©al!». Tout Victor Hugo est ainsi rĂ©sumĂ© dans cette phrase le gĂ©nie littĂ©raire et le soupçon de candeur. Certes, ses combats pour l'instruction des enfants et la dĂ©fense des pauvres peuvent paraĂźtre convenus mais il les menait Ă une Ă©poque oĂč des milliers d'enfants devaient mendier dans la rue pour se nourrir et le vol d'un pain pouvait conduire jusqu'au bagne. Ainsi Jean Valjean. Hugo a mis son gĂ©nie au service d'un idĂ©al qui a Ă©tĂ© bafouĂ© au XXe siĂšcle. Hugo Ă©tait avant tout en communion avec le peuple. Royaliste, puis bonapartiste et enfin rĂ©publicain convaincu, ses luttes ont toujours Ă©tĂ© les mĂȘmes. Il mettait ses prouesses littĂ©raires au service des petits. Non sans mĂ©galomanie, il Ă©crivait pour eux en tant que poĂšte-prophĂšte» pour les instruire et les guider. Et ses lecteurs ont toujours su lui rendre. Sous le rĂšgne de NapolĂ©on III, son recueil Les ChĂątiments qui dĂ©nonce l'usurpateur» se vendait sous le manteau Ă la sortie des usines. Pour Les MisĂ©rables, les ouvriers organisaient des cagnottes afin de se procurer l'ouvrage. Ă des annĂ©es-lumiĂšre donc de nos auteurs contemporains de gauche» qui ne savent plus parler Ă l'ouvrier d'aujourd'hui si ce n'est pour l'admonester et lui signifier qu'il pense de travers et qu'il vote mal. Victor Hugo est l'exacte antithĂšse d'Ădouard Ă©tait un pacifiste. Il rĂȘvait des Ătats-Unis d'Europe», et estimait que le progrĂšs scientifique allait libĂ©rer les masses. Las. Son optimisme mort une premiĂšre fois dans les tranchĂ©es de Verdun allait de nouveau s'Ă©teindre dans l'ignominie des camps de concentration. Son rĂȘve europĂ©en? Une commission de Bruxelles ultralibĂ©rale et exsangue. Son combat pour l'instruction? Le triomphe des pĂ©dagogistes et autres fossoyeurs de l'Ă©cole rĂ©publicaine. Son combat pour les pauvres? Les mĂȘmes bidonvilles Ă l'entrĂ©e de Paris et des travailleurs contraints de dormir dans leur voiture. Hugo a mis son gĂ©nie au service d'un idĂ©al qui a Ă©tĂ© bafouĂ© au XXe rassemblement populaire n'a Ă©tĂ© aussi marquant que ses funĂ©railles, si ce n'est la manifestation de soutien au gĂ©nĂ©ral de Gaulle le 30 mai 1968 sur les Champs-ĂlysĂ©es. Hasard de l'Histoire? Presque le mĂȘme jour. MĂȘme lieu. Deux gĂ©ants contraints Ă l'exil en Angleterre. Deux visionnaires qui ont rĂȘvĂ© la RĂ©publique. Deux hĂ©ros trahis par la postĂ©ritĂ©.Ceque c'est que la mort, Victor Hugolu par Michel BouquetNe dites pas : mourir ; dites : naĂźtre. Croyez. On voit ce que je vois et ce que vous voyez ; On es Quel fascinant destin que celui de Victor Hugo ! Destin qui lâamĂšne en seulement quelques annĂ©es du titre de vicomte de la monarchie de Juillet Ă un long et solitaire exil dâopposant rĂ©publicain sous le Second Empire. Choses vues, recueil de chroniques Ă©crites tout au long de sa vie, nous offre un tĂ©moignage unique sur la RĂ©volution de 1848, moment de rupture dans la vie du poĂšte et commencement dâune vĂ©ritable mĂ©tamorphose politique. Victor Hugo Choses vues est un objet littĂ©raire Ă©tonnant, Ă©troit mĂ©lange de rĂ©flexions politiques entrecoupĂ©es de moments de vie quotidienne et dâanecdotes historiques. Il sây succĂšde de brefs instants pris sur le vif qui nous rĂ©vĂšlent une ambiance, des atmosphĂšres de rues, lâintimitĂ© de la famille Hugo, les coulisses du jeu parlementaire⊠Comme dans une Ćuvre impressionniste, par diffĂ©rentes petites touches de couleurs, câest la peinture du temps que lâon peut voir lĂ . Lâouvrage laisse toutefois une impression de brouillage qui renvoie Ă la confusion des Ă©vĂ©nements vĂ©cus que seule lâhistoire Ă©crite a posteriori est capable de mettre en cohĂ©rence. Victor Hugo face Ă la rue FĂ©vrier 1848. Dans le froid dâun hiver rigoureux, le poĂšte est plongĂ© dans lâĂ©criture de son roman des MisĂšres lorsque la rumeur de la rue et le grondement du peuple de Paris lâamĂšnent Ă poser sa plume et Ă devenir lâacteur et le tĂ©moin privilĂ©giĂ© de la rĂ©volte populaire. En ce dĂ©but dâannĂ©e, Victor Hugo nâest pas encore lâimmortel rĂ©publicain que lâon enterrera au PanthĂ©on en 1885. AprĂšs avoir Ă©tĂ© un jeune lĂ©gitimiste exaltĂ© cĂ©lĂ©brant le sacre de Charles X, il est devenu, sous le rĂšgne de Louis-Philippe, un notable proche du pouvoir. Câest encore un homme politique assermentĂ© au roi qui vit cette nouvelle RĂ©volution. Il apprĂ©hende avec mĂ©fiance les Ă©vĂ©nements qui agitent Paris. Ce nâest pas le peuple quâil craint, il en est le thurifĂ©raire, mais il se mĂ©fie de la foule, de ses dĂ©bordements et de ses excĂšs. Dans les annĂ©es prĂ©cĂ©dant la RĂ©volution, la monarchie orlĂ©aniste Ă©tait sourde aux appels des rĂ©formes dĂ©mocratiques. Le rĂ©gime censitaire ne permettait quâĂ une infime minoritĂ© de la Nation de participer par le vote Ă la vie politique. Face Ă cet immobilisme, lâopposition libĂ©rale mena campagne afin de faire entendre les aspirations dâune partie du pays. Partout en France Ă©taient organisĂ©s des banquets oĂč lâon contestait la politique gouvernementale. Lâinterdiction dâun de ces banquets, le 22 fĂ©vrier 1848, met soudain le feu Ă la poudriĂšre parisienne. Autour des Champs-ĂlysĂ©es sont Ă©rigĂ©es les premiĂšres barricades. Ouvriers des faubourgs, Ă©tudiants de la Sorbonne, artisans des quartiers populaires, tout le peuple de Paris sâunit dans la rĂ©volte. Dans une joyeuse et exaltĂ©e confusion, les rues de Paris se couvrent de barricades tandis que sâĂ©lĂšvent au-dessus de ses toits La Marseillaise, Le Chant du dĂ©part et Le Chant des Girondins. Paris sâembrase et, fidĂšle Ă son tempĂ©rament frondeur, dĂ©cide de combattre. Il en faut davantage pour inquiĂ©ter le placide Louis-Philippe qui garde une sĂ©rĂ©nitĂ© inconsciente et nâagit quâĂ contretemps. La fraternisation entre la Garde nationale et le peuple accĂ©lĂšre brutalement la chute de la monarchie. Pour Ă©teindre lâincendie, le roi se dĂ©cide Ă renvoyer Guizot, son impopulaire ministre. La mesure reste inefficace et, face Ă la montĂ©e de la rĂ©volte, Louis-Philippe est contraint dâabdiquer le 24 fĂ©vrier. Victor Hugo, comme dâautres parlementaires, est alors chargĂ© dâannoncer la nouvelle au peuple rĂ©voltĂ© sur la place de la Bastille. Avec courage, au risque de sa vie, le poĂšte affronte le peuple en colĂšre La foule sâouvrit devant nous, curieuse et inoffensive. Mais Ă vingt pas de la colonne, lâhomme qui mâavait menacĂ© de son fusil me rejoignit de nouveau et me coucha en joue, en criant A mort le pair de France ! â Non, respect au grand homme. » fit un jeune ouvrier, qui vivement avait abaissĂ© lâarme. » 1848 Ă lâombre de 1793 Rare photo dâune barricade de 1848 La RĂ©volution de 1848 et la proclamation de la Seconde RĂ©publique 1848-1852 marquent une rupture dans la vie de Victor Hugo. Câest durant ces quatre annĂ©es quâil devient lâardent rĂ©publicain que lâhistoire retiendra. Bien que lâauteur des MisĂ©rables ait une empathie naturelle pour le peuple, source pour lui dâinspiration littĂ©raire et de prĂ©occupation politique, son adhĂ©sion Ă la RĂ©publique nâest pas immĂ©diate. Il conserve en effet un jugement critique Ă lâencontre des mouvements populaires. Dâabord mĂ©fiant, il craint de voir le mouvement socialiste, menĂ© par Blanqui et BarbĂšs, sâattaquer Ă lâordre social et aux libertĂ©s. Trop imprĂ©gnĂ© de lâhistoire de France, il connaĂźt le risque des dĂ©rives dictatoriales quand le pouvoir est laissĂ© Ă la rue. La Grande RĂ©volution de 1789 imprĂšgne encore les esprits et lâombre de la guillotine plane sur cette nouvelle rĂ©publique. Il redoute de voir tomber la France dans la barbarie. Cette rĂ©publique ne serait alors quâun bĂ©gaiement de lâhistoire singeant celle de 1793 On peut tomber au-dessous de Marat, au-dessous de Couthon, au-dessous de Carrier. Comment ? En les imitant. Ils Ă©taient horribles et graves. On serait horrible et ridicule. Quoi ! La Terreur parodie ! Quoi ! La guillotine plagiaire ! Y a-t-il quelque chose de plus hideux et de plus bĂȘte ? 93 a eu ses hommes, il y a de cela cinquante ans, et maintenant il aurait des singes. » Hugo nâa ainsi pas de mots assez durs pour la nouvelle Ă©lite rĂ©publicaine, animĂ©e, selon lui, par la mĂ©diocritĂ© et faite de gesticulations, de petitesses⊠Les gĂ©ants de 1789 les rapetissent encore plus. MalgrĂ© ses rĂ©ticences, lâatmosphĂšre du temps lâĂ©lectrise et il prend conscience que cette rĂ©publique peut devenir un formidable outil au service de la libertĂ© et de la justice sociale. Car il aspire Ă Ă©lever ce peuple Ă©crasĂ© par la misĂšre. Il dĂ©cide de continuer son combat politique sous le nouveau rĂ©gime. Les Ă©lections lâamĂšnent Ă devenir dĂ©putĂ©. En juin, câest donc sur les bancs de lâAssemblĂ©e nationale quâil apprend une nouvelle rĂ©volte du peuple, déçu par les mesures de la nouvelle rĂ©publique. Face Ă ces troubles qui remettent en cause la lĂ©gitimitĂ© du suffrage universel, Victor Hugo se range du cĂŽtĂ© des forces de lâordre. Le pouvoir de la rue lui apparaĂźt comme un despotisme aussi intolĂ©rable que la tyrannie dâun seul homme. Il cherche cependant Ă attĂ©nuer la rĂ©pression sanglante menĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Cavaignac. Conscient de la nĂ©cessitĂ© de faire respecter les nouvelles institutions dĂ©mocratiques, il nâen reste pas moins violemment Ă©prouvĂ© moralement. Enfin cette affreuse guerre de frĂšres Ă frĂšres est finie ! Je suis quant Ă moi sain et sauf, mais que de dĂ©sastres ! » Câest dans ce bouillonnement rĂ©volutionnaire et cette ferveur dĂ©mocratique que le poĂšte voit son destin basculer. LâĂ©nergie du dĂ©sespoir de ce peuple quâil admire dĂ©clenche une prise de conscience. Cette rupture historique ne lui apparaĂźt pas nĂ©e du simple hasard mais plutĂŽt ĂȘtre le fruit dâune longue maturation. La RĂ©volution sâinscrit dans le sens de lâhistoire elle est lâenfant de la nĂ©cessitĂ© et permet de canaliser lâĂ©nergie du peuple afin de lâĂ©lever. LâannĂ©e 1848 amorce ainsi sa mĂ©tamorphose vers un rĂ©publicanisme intransigeant. Il devient le dĂ©fenseur dâune rĂ©publique mystique et charnelle qui pose les bases de ses engagements politiques futurs. Dans la confusion des Ă©vĂ©nements, une vĂ©ritĂ© sâimpose la RĂ©publique ne lui a jamais Ă©tĂ© extĂ©rieure, elle lâa rĂ©vĂ©lĂ© Ă lui-mĂȘme.